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Lait

Durabilité. «Encore faut-il que le consommateur puisse participer»

Premier président romand de la Fédération des producteurs suisses de lait (PSL), le Jurassien Boris Beuret, 47 ans, justifie la réunion des forces en faveur de la durabilité sociale de sa filière. La nouvelle plateforme «fair.ch» entend peser auprès de la grande distribution, pour qu’elle mette en rayon une économie laitière forte et pérenne.

Boris Beuret (à droite au pupitre) s’adresse aux producteurs, au Musée national de Zurich, lors de l’événement de présentation de la plateforme «fair.ch», le 6 février 2025.Swissmilk

Etienne Arrivé/AGIR

Etienne Arrivé/AGIR

19 février 2025 à 08:29

Temps de lecture : 6 min

Quel est l’intérêt de la faîtière PSL que vous représentez à s’impliquer dans la plateforme «fair.ch»?

C’est une impulsion, que j’estime tout à fait logique, d’une organisation faîtière vis-à-vis de quatre groupes de producteurs (les labels «Fair», «Faireswiss», «Die Faire Milch Säuliamt», «Lait GRTA Genève») qui tentent de percer, dans différentes régions de Suisse, en vendant du lait équitable, à savoir qui couvre leurs coûts de productions. Ceux-ci s’élèvent actuellement à plus d’1 franc le litre. PSL a décidé de les aider à coordonner leurs forces en créant cette plateforme, parce que l’on se reconnaît dans leur combat, leurs revendications.

Vous citez la baisse du nombre d’exploitations laitières de 35% entre 2008 et 2022, et le taux d’auto-approvisionnement en Suisse, qui était d’environ 115% il y a 15 ans, et ne dépasse que légèrement les 100% aujourd’hui. C’est l’urgence de la situation qui a motivé cette implication?

Si le problème n’est pas nouveau, il y a maintenant une urgence, car une production qui ne peut pas couvrir ses coûts est vouée à disparaître. Moi je me bats contre ça. On est par exemple en train de développer un outil calculateur de coûts, et j’aimerais qu’on intègre au prix indicatif du lait d’industrie les coûts de production. Cela irait tout à fait dans la même logique économique de long terme.

Est-ce à dire que le prix indicatif de l’IP Lait, prix qui a augmenté de 3 centimes l’année dernière pour atteindre 82 centimes par litre de lait, a eu une incidence dans votre démarche?

Oui et non, car c’est là une discussion ponctuelle, alors que j’ai une vision à long terme, pour obtenir des conditions cadres. Avec les discussions actuelles sur la PA 2030+, on entre dans une période cruciale, où l’on rediscute du cadre dans lequel évoluera l’agriculture à partir de 2030. Elle est là, l’urgence: c’est maintenant que l’on pose toutes les conditions sur la table, c’est maintenant qu’on doit placer ces messages, c’est maintenant qu’il faut réagir. Parce qu’une fois que le nouveau cadre sera donné, on sera reparti pour je ne sais combien de temps.

Cette réunion des forces en faveur d’un prix équitable pour les producteurs est en tout cas une première. Peut-être même que les autres associations et labels partie prenante n’y croyaient pas eux-mêmes, en tout cas pendant longtemps…

Aujourd’hui j’ai le sentiment que tout le monde est content de l’opportunité d’une meilleure coordination des forces via la plateforme. Nous avons trouvé un dénominateur commun au niveau national, et cet objectif est la condition pour qu’on soit efficace. On s’est organisé, c’est déjà bien, et PSL peut amener un soutien, que ce soit administratif ou financier. La rencontre au Musée national de Zurich, le 6 février, en était la première étape. Quelque 200 productrices et producteurs ont eu l’occasion de s’y retrouver.

Autre point intéressant: en matière de quantités traitées, y a-t-il des limites en ce qui concerne la commercialisation de lait équitable et, si oui, pourquoi?

Oui, il faut aussi le préciser. Les acheteurs de lait, dans les faits, pour une grande partie du volume commercialisé, ne peuvent pas payer ce prix de 1 franc par litre, net au producteur. Le marché du lait est en effet partiellement libéralisé et soumis à une forte concurrence de l’étranger. Si bien que sur le marché «libre», les conditions actuelles permettent une rémunération qui n’atteint pas 70 centimes par kilo pour le lait d’industrie.

Vous faites une analogie avec les produits Max Havelaar: vous invitez le commerce de détail à rendre les produits laitiers équitables plus disponibles, «comme ils le font avec le café ou les bananes Max Havelaar».

Oui, c’est comme si je dirigeais la fédération des producteurs de café et que je voulais soutenir nos producteurs. Notre but est que ces produits soient disponibles à large échelle, pour que le consommateur puisse faire le choix de payer son lait un peu plus cher, en ayant l’assurance que la différence de prix revient aux producteurs. Nos collègues, avec leurs quatre labels, ont du mal à entrer dans des canaux de distribution leur permettant d’écouler des volumes suffisants. La prochaine étape sera d’essayer de référencer le lait équitable chez les grands distributeurs. Et ainsi permettre aux consommateurs de pleinement participer à la démarche. Pour beaucoup, mettre quelques centimes en plus ne changent rien à leur vie, tandis que ça change la vie des producteurs de lait.

Pour y parvenir, à quoi vous engagez-vous, en tant que PSL? À mettre des ressources dans des campagnes de communication?

Je ne veux pas trop tirer de plans sur la comète, pour l’instant on a donné cette impulsion et il faut définir la suite. Il est clair qu’il y a déjà de la communication à faire, puis il y aura un soutien au niveau de la coordination. Si certains contacts doivent être pris, s’il faut participer au dialogue avec les distributeurs, on sera là. Cette mise à disposition des consommateurs, si on la réclame, c’est qu’on pense qu’elle est atteignable.

Par le passé, Faireswiss a eu des problèmes avec Migros qui voulait lui imposer le label IP-Suisse. Le géant orange se justifie par le fait qu’il commercialise son lait à boire via des labels de durabilité environnementale (Demeter, Bio Suisse ou IP-Suisse). Aujourd’hui avec «fair.ch», vous soutenez avant tout les durabilités sociale et économique…

Oui, mais parce que les standards suisses pour ce pilier de la durabilité qu’est l’environnement sont déjà très élevés. On a quand même un cadre, en Suisse, avec les prestations écologiques requises, qui garantit déjà un très haut niveau. La production de gaz à effet de serre par kilo de lait est aussi un thème pour nous. Au niveau national, on est en train de réfléchir pour mettre en place un système de mesures, pour ensuite se fixer des objectifs de réduction. Mais l’exercice ne sera pas hyper évident, car notre impact est déjà très bas, parmi les meilleurs d’Europe. C’est dû à notre système de production et à nos conditions naturelles, avec beaucoup d’herbages, et des vaches qui mangent principalement des fourrages de la région. On a un cycle du carbone déjà bien organisé sur les exploitations, et des programmes pour encourager les améliorations, comme AgroImpact.

Diriez-vous que cette image de durabilité écologique de la production laitière suisse est encore bien ancrée?

On y travaille, ça nous occupe quand même depuis déjà un certain temps. Mais il faut se rendre compte que ces pâturages suisses, on ne peut pas mieux les mettre en valeur qu’en produisant une alimentation saine. C’est aussi une question de souveraineté alimentaire. Tous les défenseurs du lait sont convaincus qu’il n’y a pas de meilleur moyen que les vaches pour mettre en valeur ces surfaces, les transformer en protéines animales, que ce soit du lait, du fromage ou de la viande. Il y a là une logique agronomique et une logique aussi d’utilisation optimale des ressources.

Que faites-vous de cette concurrence des alternatives au lait, ces drinks d’amande, de soja, d’avoine, de noix de cajou? On dit que les ventes de ces ersatz progressent en flèche…

D’un point de vue nutritionnel, aujourd’hui tout le monde reconnaît qu’il n’y a pas mieux que les produits laitiers. Prenez une boisson de riz, il semblerait que si on veut ingérer la même quantité d’acides aminés essentiels contenue dans deux décilitres de lait, on devrait en ingurgiter 200 fois plus: bonne chance! Et souvent, il y a encore des sucres qui sont rajoutés dans ces boissons. De surcroît la durabilité de ces produits de substitution n’est souvent pas garantie, alors que la production laitière en Suisse est, encore une fois, adaptée au pays et donc durable.