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Suisse

Économie circulaire. Mieux valoriser les coproduits issus de la transformation de fruits

Un projet qui touche à sa fin a pour but d’explorer les moyens de mettre en valeur les coproduits de fruits, notamment les drêches de pommes et les noyaux d’abricots. Présentation.

Clément Gindrat-Keller, chef de projet chez Cogiterre, avec une bouteille de vinaigre à base de drêches de pommes.L. Pillonel

Ludovic Pillonel

Ludovic Pillonel

17 octobre 2024 à 07:00

Temps de lecture : 4 min

La fabrication de jus et de cidres génère de grandes quantités de drêches de pommes chaque année. Pour l’heure, cette matière première est essentiellement utilisée sous forme de biogaz ou de nourriture pour les animaux. C’est pour étudier les façons de mieux valoriser ce coproduit qu’un projet à l’origine soutenu par l’Union européenne (lire ci-dessous) a été mis sur pied en 2020.

Baptisé Fairchain (que l’on peut traduire par «chaîne de valeur équitable»), il s’est penché sur plusieurs débouchés possibles, dont la fabrication de vinaigre, dans les locaux de Cogiterre. Cette société dont l’atelier de production se situe à l’Agropôle de Molondin (VD) développe des produits agroalimentaires à base de fruits nécessitant des processus de fermentation pour leur transformation.

Dans le cadre du projet, Cogiterre a transformé dans un premier temps les drêches de pommes de la société valaisanne active dans la commercialisation de fruits et légumes biologiques Biofruits. À la suite de l’incendie qui a affecté ses locaux en juillet 2023, ce partenaire a été contraint de se retirer partiellement.

La cidrerie Möhl et Food Engineering, qui réalise des tests industriels en rapport avec la durabilité pour celle-ci, ont dès lors rejoint l’aventure. «Cette collaboration avec Cogiterre a pour nous un double intérêt puisqu’elle permet d’utiliser de manière plus intéressante nos coproduits, transformés actuellement en biogaz et en compost, et de leur donner potentiellement de la valeur», indique Fabien Hallenbarter, responsable assurance qualité de Biofruits.

Valeur ajoutée pour toute la chaîne

Le prix fixé pour le vinaigre vise en effet la création de valeur ajoutée tout au long de la chaîne. «L’évacuation des drêches pour la méthanisation coûte entre deux et quatre centimes aux producteurs. Avec notre modèle d’affaire, ils ne perdent pas d’argent, mais peuvent gagner quelques centimes par kilo de drêches», affirme Clément Gindrat-Keller, chef de projet chez Cogiterre.

Le processus de transformation des drêches de pomme commence par la fermentation alcoolique, lors de laquelle on ajoute de la mélasse, des levures et de l’eau aux coproduits. Après une à deux semaines, le passage par un décanteur permet de séparer la partie solide du liquide, qui est mélangé à une mère de vinaigre. Lors de la fermentation acétique, l’alcool est ensuite transformé en vinaigre à une température de 31 degrés grâce au travail des bactéries alimentées en oxygène.

Les essais s’étant avérés concluants, Cogiterre peut se lancer dans la commercialisation. «Une entreprise du domaine de la détergence mise sur ce vinaigre biosourcé dans un souci de durabilité. Un autre client l’utilise pour l’alimentation animale», relève Clément Gindrat-Keller. Quant aux restes solides des fermentations alcooliques, ils sont repris par une start-up pour nourrir des insectes destinés à la consommation humaine.

«Nous pourrions acheter d’autres acétificateurs, donc il n’y a pas de limite à l’expansion du modèle», déclare Clément Gindrat-Keller. Cogiterre produit à l’heure actuelle 200 litres de vinaigre par jour pour la consommation humaine. Le projet, pour lequel trois à quatre tonnes de drêches de pommes ont été transformées à ce stade, représente 10% de ce volume.

Une utilisation du vinaigre Fairchain dans l’alimentation humaine, par exemple pour la réalisation de sauces à salade, à condition de remplacer la mélasse au goût terreux par du sucre, n’est pas exclue. Si la pomme a été choisie pour la disponibilité de ses coproduits, le processus a aussi été testé avec succès sur du raisin et il pourrait s’appliquer à n’importe quel autre fruit.

La piste du biochar

Des tests effectués à Grangeneuve ont aussi démontré le potentiel du vinaigre en tant qu’agent biostimulant pour les plantes et les semences (lire ci-dessous). Le projet ne s’arrête pas là. «Parallèlement, un concept régional innovant peut valoriser les noyaux d’abricot et d’autres coproduits ligneux régionaux au moyen de la technologie de la pyrolyse», relève Anne Verniquet, consultante chez dss+, un cabinet de conseil en management opérationnel durable et gestion des risques responsable de cette facette de Fairchain.

Trois produits de valeur pourraient être générés. La chaleur renouvelable comme substitut à l’énergie fossile, un engrais à base de biochar et des crédits carbone, «car le biochar peut séquestrer le carbone dans le sol à long terme et contribuer à une stratégie climatique régionale».

«Le modèle est uniquement sur le papier pour le moment, même si nous avons rencontré pas mal d’acteurs de toute la chaîne en Valais», précise Anne Verniquet. Dans le cas d’étude, 79 tonnes de noyaux d’abricots en provenance de l’industrie de transformation alimenteraient un pyrolyseur de taille moyenne centralisé, d’une puissance de 1 à 5 mégawatts.

«Pour qu’il tourne correctement, on a estimé qu’il faudrait 3000 à 10 000 tonnes de matières ligneuses à semi-ligneuses par an. Une part de la biomasse issue de l’élagage des arbres fruitiers et de la gestion des forêts pourrait être valorisée. Sinon, le secteur vitivinicole valaisan présente un gros potentiel car pas mal d’hectares vont être rénovés dans les prochaines années. Il y a cependant une inconnue sur la qualité du biochar qui en émanerait. Des études complémentaires feraient sens selon dss+», indique Anne Verniquet.

La collaboratrice du cabinet de conseil fait aussi remarquer que l’utilisation de biochar issu de la pyrolyse de coproduits des filières de transformation alimentaire n’est actuellement pas autorisée dans l’agriculture. «Ce sujet nécessite encore un peu de temps avant d’être mature sur le terrain, car il manque des données sur les bénéfices du biochar pour les sols et les productions locales», conclut-elle.

Un effet biostimulant à approfondir

Mesure de la croissance des pommiers après l’application de vinaigre Fairchain chez Biofruits.
Mesure de la croissance des pommiers après l’application de vinaigre Fairchain chez Biofruits.Grangeneuve

Grangeneuve, le centre de compétences pour l’agriculture fribourgeoise, s’est occupé des aspects agronomiques du cas d’étude suisse dans le cadre du projet Fairchain. «Le travail a porté sur la recherche des utilisations possibles du vinaigre et l’élaboration de protocoles d’essai, jusqu’à l’analyse des résultats ainsi que la rédaction de rapports techniques et de résumés pour les usagers», résume la collaboratrice scientifique Aurélie Moulin-Moix.

Des tests réalisés en laboratoire, en collaboration avec l’Université de Fribourg, ont montré une certaine efficacité du vinaigre Fairchain pour lutter contre des pathogènes s’attaquant aux arbres fruitiers (agents causant la tavelure, le chancre bactérien, la moniliose). Ces résultats prometteurs devront être confirmés en conditions naturelles. L’application de ce vinaigre en tant que moyen de désinfection des semences de plantes potagères et aromatiques a aussi été exécutée en laboratoire avec l’aide d’Agroscope Conthey.

Agriculteurs impliqués

«Nous avons aussi travaillé avec des agriculteurs de Biofruits ainsi que sur le site de Grangeneuve, sur des plantations de fruitiers déjà établies. Nous avons notamment effectué des tests de biostimulation chez plusieurs arboriculteurs, et vérifié que le vinaigre n’abîmait pas les feuilles des pommiers et des poiriers sur le site de Grangeneuve. Nous avons également réalisé un test contre le mildiou en collaboration avec le domaine des Faverges», indique Aurélie Moulin-Moix.

Une revue approfondie de la littérature scientifique ainsi que les résultats des analyses ont montré que le vinaigre Fairchain contenait, en plus de l’acide acétique, de nombreuses substances ayant un effet biostimulant. «En particulier, des polyphénols et des acides organiques ont été identifiés en quantité non négligeable, ce qui différencie ce vinaigre de ceux déjà commercialisés. Par exemple, l’acide gallique contribue à réduire certains stress et l’acide p-coumarique augmente la biomasse de certaines plantes.»

Résultats partagés

Les résultats du cas d’étude suisse ont été partagés lors d’un colloque pour les employés de Grangeneuve et à l’occasion d’un événement qui s’est déroulé en avril. Des résumés pratiques ont aussi été publiés sur le site du projet. «Pour la suite, nous devons encore répéter des expériences, afin de confirmer certaines observations. Si celles-ci sont concluantes, nous pourrions accentuer nos efforts de communication», précise Aurélie Moulin-Moix.

«Ce projet a apporté à Grangeneuve la possibilité de mener des recherches intéressantes afin de trouver ou redécouvrir, en collaboration avec les agriculteurs et d’autres partenaires, de nouvelles techniques culturales plus respectueuses de l’environnement. Nous avons aussi acquis de l’expérience dans la gestion de projets de grande envergure, dans le cadre du programme Horizon 2020. Les résultats des autres cas d’études du projet Fairchain pourraient d’ailleurs trouver une application en Suisse», conclut la collaboratrice scientifique du centre de compétences pour l’agriculture fribourgeoise.

LP

Aux quatre coins de l’Europe

Né d’une initiative de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE), le projet Fairchain fait partie du programme de financement de la recherche et de l’innovation de l’Union européenne baptisé Horizon 2020. L’objectif de ce projet? Développer des chaînes de valeur alimentaires intermédiaires.

En France, cela s’est traduit par l’élaboration de boissons fermentées à base de petit-lait et de jus de fruits ou de sirop. Le volet belge a consisté à mettre à disposition des agriculteurs et des transformateurs une machine d’emballage innovante. En Grèce, la technologie de la blockchain a été utilisée pour garantir la traçabilité et le partage d’informations fiables dans la production et la distribution de feta traditionnelle.

Du côté de la Suède, l’accent a été mis sur une application pour favoriser la cueillette des baies sauvages et générer des chaînes de valeur locales. Quant aux Autrichiens, ils se sont penchés sur la création d’un incubateur d’innovation alimentaire. Comme expliqué ci-dessus, l’approche suisse a porté sur la valorisation des coproduits de fruits et la création d’une valeur ajoutée supplémentaire pour les différents partenaires.

Le projet s’étend de novembre 2020 à octobre 2024. Son budget total s’élève à 8 millions de francs, avec une contribution de l’Union européenne à hauteur de près de 7 millions de francs.

Pour ce qui est de la partie suisse, le soutien atteint 700 000 francs environ pour un coût total de l’ordre d’un million de francs. «Les partenaires du projet financent la différence», précise Clément Gindrat-Keller, de Cogiterre.

L’entreprise située à Molondin est associée à un autre projet déposé dernièrement auprès de la Commission européenne, en partenariat avec des organisations et institutions de l’Union européenne ainsi qu’Agroscope Conthey. «Nous voulons valoriser les drêches de pommes fermentées solides, et non plus uniquement la partie liquide comme dans le projet Fairchain. Il y a aussi l’envie de mettre en place des processus de pasteurisation moins gourmands en énergie grâce au chauffage par induction et de créer des emballages biosourcés», explique Clément Gindrat-Keller.

LP