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Cultures

Agroscope. Les ravageurs sont surveillés de près

Diverses méthodes de piégeage ingénieuses permettent de monitorer les ravageurs des cultures. Grâce à ce suivi, il est possible de mettre en place des mesures pour ces insectes de façon raisonnée.

Piège à émergence.ATNP, projet AUXI-GEN

Stève Breitenmoser et Ivan Hiltpold, Agroscope

Stève Breitenmoser et Ivan Hiltpold, Agroscope

25 février 2025 à 15:57, mis à jour le 26 février 2025 à 09:41

Temps de lecture : 5 min

Les insectes sont suivis dans leurs déplacements et leur cycle biologique depuis déjà plus de deux siècles et, souvent, dans le cadre de la problématique des dégâts occasionnés aux cultures. Autrefois, ils étaient capturés pour leur beauté par les collectionneurs, une mode aujourd’hui désuète mais qui a été un moteur à l’évolution des techniques de piégeage.

Au XIXe siècle, les entomologistes attiraient les insectes à l’aide de simples bougies ou lampions, puis avec des lampes à pétrole ou à gaz. Par la suite, de nombreuses méthodes ont été développées avec l’évolution des technologies.

Plus récemment, le monitorage est également utilisé pour connaître l’évolution des populations d’insectes dans le monde, notamment par rapport à leur déclin, et ainsi suivre l’évolution de l’état de la biodiversité. De nos jours, certains pièges émettent des composés attirant des espèces particulières d’insectes, tandis que l’informatique et l’intelligence artificielle pointent leur nez dans cette pratique ancestrale.

Utilité du monitorage

Dans le cadre agronomique et phytosanitaire, pour mieux gérer une espèce, il faut tenir compte de son cycle biologique. Le monitorage permet de connaître son activité annuelle ou quotidienne et informe les scientifiques, conseillers et agriculteurs sur les meilleurs moments d’application de méthodes de lutte. S’il n’existe pas autant de pièges que d’espèces d’insectes, il en existe cependant une multitude, adaptés aux comportements connus des espèces cibles.

Grâce aux piégeages, il est possible de savoir à quel moment un insecte ravageur arrive dans une culture, quelle est sa période d’activité ou sa densité, tout cela afin d’entreprendre une stratégie éclairée pour sa gestion. Le moment de l’arrivée du ravageur est souvent crucial pour permettre d’évaluer sa nuisibilité via les seuils d’interventions.

Par exemple, les cuvettes jaunes dans le colza (photo 1 ci-dessous) permettent de connaître l’arrivée des altises, des charançons ou autres méligèthes dont la nuisibilité sera ensuite évaluée par des échantillonnages des plantes au champ pour définir si une intervention phytosanitaire se justifie économiquement.

Autre exemple, les pièges à émergence (photo 8) permettent également de connaître la sortie de terre des adultes ayant passé l’hiver dans le sol comme les charançons mais également les guêpes parasitoïdes qui sont de précieux auxiliaires.

Divers pièges pour divers insectes

Suivant l’espèce d’insecte, le milieu, la culture ou d’autres paramètres, le choix de la méthode optimale va être différent. Par exemple, historiquement, les papillons de nuit étaient suivis par un piège lumineux (photo 2). Cependant, non spécifique, cette installation capture beaucoup d’espèces non-cibles et nécessite donc de nombreuses heures de tri.

C’est pourquoi des phéromones, molécules émises par les femelles pour attirer les mâles lors de la période de reproduction, ont été synthétisées. Elles sont spécifiques et efficaces. Ajoutées aux pièges, elles sont désormais très utilisées pour le monitorage, par exemple, du carpocapse des pommes (Cydia pomonella), de la tordeuse du pois (Cydia nigricana) ou de la pyrale du maïs (Ostrina nubilalis).

Ainsi pour les papillons ravageurs, ce sont actuellement des pièges à phéromone qui sont utilisés sous différentes formes. Le piège delta (photo 3a), le piège funnel (photo 3b) et le piège nasse (photo 3c) se révèlent être les plus appropriés respectivement pour les tordeuses, les noctuelles et les pyrales.

Beaucoup d’insectes sont attirés par le jaune, ainsi des pièges attractifs mais non sélectifs (pièges englués jaunes) sont utilisés dans les cerisiers pour capturer la mouche de la cerise (Rhagoletis cerasi). La cuvette jaune (photo 1) contenant de l’eau savonneuse est un autre exemple, permettant de suivre le cortège de ravageurs du colza.

Il existe aussi des installations fixes, telles que le piège à aspiration (ou à succion, photo 5) qui, avec sa cheminée d’une douzaine de mètres, capture le plancton aérien. Ce piège non attractif, situé à Changins, fonctionne depuis plus de quarante ans et permet de connaître le vol et l’arrivée des pucerons, notamment vecteurs de virus dans les pommes de terre, betteraves ou céréales.

Les insectes auxiliaires (chrysopes, coccinelles, syrphes, guêpes parasitoïdes) peuvent, eux aussi, être suivis par la cuvette jaune ou le piège Malaise (photo 6). Dans ce dernier, les insectes volants sont attrapés de manière aléatoire lors de leur déplacement en vol. Cette méthode est également utilisée en France pour suivre le charançon de la betterave (Lixus juncii). Cependant, il s’avère relativement volumineux.

Pour suivre la faune épigée, notamment les prédateurs du sol comme les carabes ou les araignées, qui sont de précieux auxiliaires pour l’agriculture, les pièges non attractifs et d’interception de type Barber (ou pitfall, photo 7) sont un standard. Il s’agit d’un gobelet comprenant un liquide de conservation qui est enterré et surmonté d’un entonnoir dont la surface supérieure se situe à ras le sol, puis d’un toit pour le protéger le contenu des pluies. Ainsi, les arthropodes se déplaçant au sol tombent à l’intérieur.

Dans le contexte du suivi de la biodiversité et des populations d’arthropodes, des installations combinées sont mises en place avec, par exemple, une cuvette jaune attractive surmontée d’un piège fenêtre en croisillon pour intercepter les insectes volant aussi de nuit et par hasard (photo 10) tout cela accompagné au sol d’un piège Barber pour la faune épigée.

Réseaux d’observation

Le monitorage est directement réalisé par les producteurs qui peuvent ainsi connaître l’arrivée du ou des ravageurs dans leurs cultures et définir ensuite, à l’aide des seuils d’interventions, si une intervention phytosanitaire s’avère nécessaire et rentable.

En Suisse, dans le cadre de la protection des cultures, plusieurs réseaux d’observation ont été mis en place pour suivre l’évolution des ravageurs. De tels réseaux ont été mis en place au niveau national, comme pour la pyrale du maïs, ou au niveau de la Suisse romande, comme pour les ravageurs du colza.

De nombreux observateurs (Agroscope, stations phytosanitaires cantonales, conseillers, vulgarisateurs, firmes et producteurs) relèvent hebdomadairement des pièges dont les résultats sont ensuite consignés, synthétisés et mis à disposition en ligne, comme sur Agrométéo par exemple.

Pièges à la parcelle

Dans le cadre de projets, tels que «AUXI-GEN: évaluation de la biodiversité fonctionnelle dans les grandes cultures à Genève 2022-2026», différents types de pièges sont installés dans les parcelles et les surfaces de promotion de la biodiversité (SPB). Ils permettent de suivre les ravageurs du colza avec une cuvette jaune et les auxiliaires avec un dispositif comprenant un piège Malaise, trois pièges à émergences et trois pièges Barber.

Pour les projets de suivi de la biodiversité et de l’évolution des peuplements d’insectes en Suisse, plusieurs instances assurent des suivis, souvent en partenariat. Il en est ainsi, par exemple, pour le projet RBA-Insect (Rapid Biodiversity Assessment), pour lequel divers instituts (WSL, Agroscope, FiBL, info fauna-CSCF, Station ornithologique suisse) collaborent.

Le piégeage d’insectes sert aussi à détecter les insectes envahissants et évaluer leur progression en Suisse, comme pour le Scarabée japonais (Popillia japonica) à l’aide d’un piège à phéromone d’agrégation.

En conclusion, le monitorage est un instrument majeur pour la compréhension du cycle des insectes, de comparaison des populations d’insectes mais également un outil de la protection intégrée des cultures.

Cuvette jaune à eau (photo 1).Stève Breitenmoser