Libre-échange. Accord UE-Mercosur: quel impact pour l’agriculture?
L’accord de libre-échange UE-Mercosur conclu vendredi, qui doit encore être ratifié par les Etats, promet d’ouvrir un peu plus le marché européen aux produits latino-américains. Cette perspective alarme le secteur agricole.
Partager
ATS
9 décembre 2024 à 09:02
Vendredi 6 décembre, le Copa-Cogeca, principal lobby agricole européen, a redit son opposition à cet accord, dont le volet agricole - acté depuis 2019 - «exacerbera les pressions économiques auxquelles sont soumises de nombreuses exploitations».
L’accord a été souvent vilipendé ces dernières semaines dans les manifestations des agriculteurs, qui parlent d’intensifier leur mouvement, notamment en France.
Quels volumes agricoles sont en jeu?
La Commission européenne parle de «petits volumes»: les produits du Mercosur dont les droits de douane seront réduits voire éliminés seront de 99 000 tonnes maximum pour la viande bovine, soit 1,6% de la production de l’UE. Pour les volailles 180 000 tonnes (1,4%), le sucre 190 000 tonnes (1,2%).
Bruxelles assure que l’accord représente des opportunités pour des produits européens aujourd’hui freinés en Amérique latine par les taxes: le vin (actuellement taxé jusqu’à 35%), les chocolats, le malt, le lait en poudre ou les fromages, qui peuvent bénéficier de «l’essor d’une classe moyenne».
Le gouvernement espagnol, qui soutient l’accord, met ainsi en avant le vin ou l’huile d’olive. Les syndicats agricoles de ce pays s’alarment tout de même, en particulier pour l’élevage.
Secteurs exposés
Même si les volumes concernés sont limités, ils peuvent ébranler des filières, expliquent celles-ci. Pour Patrick Bénézit, éleveur et vice-président de l’interprofession française de la viande bovine (Interbev), les pays du Mercosur fournissent déjà le gros des importations d’aloyaux, des morceaux «nobles». La production d’aloyaux en Europe, «c’est 400 000 tonnes issues de races à viande, donc voir débouler 99 000 tonnes, ça a un impact».
Selon l’Institut de l’élevage, les aloyaux du Mercosur arrivent à des coûts inférieurs de 18% à 32% par rapport aux Européens. La Commission répond qu’une part des importations comprendra de la viande congelée «de moindre valeur». Les producteurs de poulet aussi redoutent que les Brésiliens se concentrent sur les morceaux les plus rentables, les filets.
Pour la filière du sucre, déjà bousculée par les facilités accordées à l’Ukraine, les 190 000 tonnes ne représentent que 1,2% de la production européenne, mais la moitié des exportations de la France vers d’autres pays de l’UE. Les producteurs français craignent donc de perdre ces débouchés.
Les filières de l’éthanol, du miel, du porc… sont aussi exposées, souligne Stefan Ambec, économiste à l’institut de recherche Inrae, qui évoque le risque d’une baisse des prix payés aux agriculteurs européens. «Les coûts de production diffèrent et le problème est que les normes sanitaires et environnementales ne sont pas les mêmes.»
Quelles normes?
La Commission l’assure: «Tout produit du Mercosur doit respecter les normes strictes de l’UE en matière de sécurité alimentaire.» L’accord de libre-échange Ceta avec le Canada par exemple ne remplit pas ses quotas d’exportation de viande depuis six ans faute de production aux normes, fait valoir un fonctionnaire européen.
Les «conditions de production» dans le Mercosur, en matière sociale, environnementale, de bien-être animal… ne seront pas forcément les mêmes qu’en Europe, admet cependant Bruxelles.
C’est «vendu comme un accord de nouvelle génération prenant en compte les aspects environnementaux et climatiques mais les engagements sont faibles: il n’y a aucune conditionnalité», résume M. Ambec, coauteur d’un rapport scientifique au gouvernement français.
En matière sanitaire, l’importation de viande traitée aux hormones de croissance restera interdite. En revanche des viandes issues d’élevages usant de certaines pratiques pourtant prohibées dans l’UE -- usage d’antibiotiques activateurs de croissance ou de certaines farines animales -- pourront entrer, soulignent les opposants.
Quels contrôles?
«En théorie, la viande traitée par exemple aux hormones de croissance ne peut entrer, mais en pratique la traçabilité est imparfaite», explique M. Ambec. «Il y a des audits d’abattoirs organisés avec la Commission, mais on ne suit pas facilement le bétail avant cette étape. Le traçage de la naissance à l’abattage, dans le Mercosur, cela n’existe qu’en Uruguay.»
Et de fait, un audit de l’UE a révélé en octobre des failles dans les contrôles de la viande bovine au Brésil, incapables de garantir l’absence de l’hormone oestradiol, interdite en Europe. En attendant que les procédures soient revues, le Brésil a suspendu ces exportations.
«Frein d’urgence»
L’accord comprend «une clause de sauvegarde», une sorte de «frein d’urgence» en cas d’augmentation soudaine des importations ou d’effets pervers sur le marché, souligne Bruxelles.
Mais cette clause «ne définit pas» de conditions précises, note M. Ambec: de quoi compliquer son déclenchement (le rétablissement des droits de douane) sans mesures de rétorsion.