Sondage. «Je veux explorer la situation actuelle du bio»
Étudiant à la HAFL, Florent Gerbex a décidé de s’intéresser à l’agriculture biologique pour son travail de semestre. Il lance un sondage en ligne afin de cerner les motifs de reconversion, de continuité ou d’abandon du bio.
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16 décembre 2024 à 13:57, mis à jour à 15:57
Pourquoi avez-vous décidé de consacrer votre travail de semestre à l’agriculture biologique?
J’ai choisi le sujet de l’agriculture biologique, car c’est un secteur en pleine évolution et avec des questionnements. J’y vois une opportunité d’explorer la situation actuelle du bio en Suisse et ainsi connaître les raisons qui poussent les agriculteurs et agricultrices à s’engager, persévérer ou se retirer de cette production. Ce travail de semestre servira également de base à mon futur travail de bachelor au cours duquel des discussions sur les résultats pourront avoir lieu avec les acteurs de la production biologique en Suisse.
Dans l’agriculture bio, quels aspects vous intéressent particulièrement ou quelles problématiques?
Je m’intéresse particulièrement aux multiples facteurs qui influencent le maintien ou l’abandon de l’agriculture biologique, afin de refléter au mieux la complexité de sa réalité actuelle. Cela inclut les exigences réglementaires, la rentabilité, la charge de travail, le soutien technique et financier, mais également la perception sociale. Cette approche permet d’aborder le bio de manière factuelle en tenant compte des défis et des opportunités qui se présentent aujourd’hui dans le bio.
Avez-vous des expériences personnelles liées à l’agriculture biologique?
Je n’ai pas grandi sur une ferme bio, mais je suis ouvert à tous les modes de production, convaincu que chacun offre des atouts. Parallèlement à ma spécialisation en économie et à mon minor en enseignement et conseil, j’ai entrepris une qualification en agriculture biologique et préservation des ressources. J’ai échangé avec des exploitants bios, effectué un stage chez BioVaud et travaillé sur une ferme bio. Ces expériences ont enrichi ma compréhension pratique des enjeux du secteur.
Pourquoi avez-vous choisi de mener une enquête en ligne pour traiter ce sujet?
Une enquête en ligne permet une large diffusion, par exemple via les réseaux sociaux ou les journaux agricoles tels que Agri et la Bauernzeitung. Ainsi, l’information atteint facilement un grand nombre d’agriculteurs-trices, de différentes régions de Suisse. Chacun peut y participer quand il le souhaite, sans contrainte de déplacement. Ce mode de diffusion facilite une représentativité plus large des réponses.
À qui s’adresse ce sondage?
Ce sondage s’adresse aux agriculteurs-trices suisses, répartis en quatre profils distincts: ceux travaillant en conventionnel mais songeant à passer au bio, ceux déjà engagés en bio, ceux actuellement en bio mais hésitant à en sortir, et ceux ayant pratiqué le bio puis revenus au conventionnel. L’objectif est de mettre en lumière la situation actuelle de l’agriculture biologique en recueillant les expériences, contraintes, motivations et attentes des participants.es.
L’enquête est menée dans toute la Suisse, en français et en allemand. Quel échantillon souhaitez-vous avoir pour que les résultats soient représentatifs?
Idéalement, j’aimerais obtenir plusieurs centaines de réponses afin de refléter la diversité de l’agriculture suisse en termes de régions linguistiques, types de production et statuts bio. Un échantillon d’environ 200 à 300 participants constituerait déjà une base suffisante pour dégager des tendances fiables.
Combien de temps faut-il compter pour répondre à toutes les questions? Et jusqu’à quand l’enquête est-elle disponible?
Répondre au sondage prendra environ 10 minutes pour chaque catégorie. L’enquête restera ouverte jusqu’à début janvier, laissant ainsi le temps aux agriculteurs-trices de participer.
Une fois l’enquête terminée, comment se déroulera la suite de votre travail?
Une fois l’enquête close, j’analyserai les données, dégagerai des facteurs clés et rédigerai mon travail de semestre. Mon objectif sera notamment de publier les résultats dans les journaux afin que chacun puisse en prendre connaissance. Les informations recueillies serviront également de base à mon travail de bachelor, me permettant d’échanger avec les différents acteurs de l’agriculture biologique.
Les organisations de l’agriculture biologique sont-elles au courant de votre étude? Y participent-elles d’une manière ou d’une autre?
Aucune organisation de l’agriculture biologique n’a été informée officiellement ni impliquée dans ce travail et le sondage pour l’instant, afin de préserver une approche impartiale. Par ailleurs, dans le cadre de mon travail de bachelor, je prendrai contact avec différentes organisations agricoles, notamment bio, afin d’approfondir les réflexions et d’échanger sur les résultats obtenus.
Vous nous avez proposé de faire un reportage chez un agriculteur qui a renoncé au bio (lire l’article ci-dessous), pourquoi?
Un reportage chez un agriculteur ayant renoncé au bio permet d’illustrer concrètement les raisons d’un tel choix. Actuellement, certains agriculteurs envisagent de se convertir à l’agriculture biologique, tandis que d’autres souhaitent ou ont déjà quitté ce mode de production. Il est rare de mettre en lumière cette facette de l’agriculture biologique, d’où l’intérêt d’un témoignage provenant d’un agriculteur ayant cessé cette forme de production.
-> Pour participer au sondage, cliquez ici.
Bio express
Fils d’une famille paysanne fribourgeoise de Vuissens, Florent Gerbex, 26 ans, est au bénéfice d’un CFC d’agriculteur et d’une maturité professionnelle. Actuellement, il étudie l’agronomie à la Haute école des sciences agronomiques, forestières et alimentaires (HAFL) de Zollikofen (BE). Il obtiendra son bachelor d’ingénieur agronome avec spécialisation en économie agraire en 2025. Le jeune homme a plusieurs expériences professionnelles à son actif dans l’agriculture. Il a travaillé comme formateur chez Isagri et collaboré au sein du groupe variété et technique culturale d’Agroscope. Il préside l’Association des anciens élèves d’Agrilogie et assume un rôle d’ambassadeur de l’agriculture pour le compte d’Agir et de Prométerre.
KE
Des principes déroutants et un prix indigent
Michel Guex a conduit pendant près de huit ans son domaine selon les principes de la production biologique, avant de se tourner de nouveau vers l’agriculture conventionnelle en 2013. L’exploitation, aujourd’hui entre les mains de son fils Jérémie Guex, compte 77 hectares et 110 vaches Jersey, à Matran (FR). La surface est essentiellement destinée à la production herbagère mais il cultivait quelques hectares de blé, de colza et de maïs pendant la phase bio.
Lait pas assez payé
Il s’était lancé très motivé dans le bio mais, quelques années après, plusieurs aspects l’ont convaincu d’y renoncer, un avis d’ailleurs partagé par la génération suivante. «À la fin des années 90, j’avais fait la transition du lait d’ensilage au lait de fabrication car le financement était meilleur. Mais toute ma ferme était réfléchie pour une utilisation d’ensilage et cela me revenait cher de faire différemment. Je n’ai donc pas vraiment profité de la plus-value. Puis, des amis m’ont encouragé à me lancer dans le bio et j’y ai vu une opportunité pour améliorer mon revenu», souligne le retraité. Il précise qu’à l’époque Cremo recherchait des producteurs pour faire du Vacherin fribourgeois AOP bio. Il livrait alors 500 000 kg de lait à la coopérative. Malheureusement, le projet n’a rien donné. Les deux tiers (300 000 kg) de son lait ont été payés comme du Vacherin fribourgeois AOP conventionnel et le reste comme du lait de centrale.
Frais en plus
S’il avait fait le choix de la production biologique, ce n’était pas que pour des raisons financières. Il s’est toujours demandé ce qu’il se passait dans le sol quand il traitait ou alors ce que devenaient les autres insectes quand il intervenait contre les charançons. «Quand je me suis décidé, c’était une période où on parlait beaucoup d’écologie. Je me retrouvais bien dans ce milieu et j’ai apprécié les contacts avec les producteurs bios. Mais c’est sur le plan économique que cela n’a pas fonctionné chez moi», témoigne Michel Guex.
Sa principale production, le lait, n’était pas rémunérée comme un produit bio et il avait des frais en plus en contrepartie. «Pour l’achat de mon foin ou des concentrés par exemple, et en particulier pour les protéiques qui coûtaient le double des conventionnels.» Pour y remédier, il a essayé d’augmenter la part de fourrage propre à l’exploitation et a testé des cultures qu’il n’aurait pas choisies autrement, comme de la féverole. Mais les semences avaient aussi un coût et la récolte n’était pas toujours garantie.
Abandon du colza
De façon générale, son expérience bio ne lui a pas vraiment convenu au niveau des cultures. Il devait chaque année ressemer au moins une fois son maïs car les graines qui ne disposaient plus de protection se faisaient manger par les oiseaux, un phénomène qu’il n’a plus constaté après son retour au conventionnel. Michel Guex a aussi relevé d’importantes difficultés avec le colza. «Là, il faut dire ce qu’il en est, c’est presque impossible de faire du colza bio. J’avais d’ailleurs dû abandonner alors que j’appréciais la culture.»
Au niveau financier, il estime qu’il perdait davantage. «Je produisais moins mais j’étais mieux payé, donc cela se compensait un peu. Par contre, j’avais plus de travail pour réguler les mauvaises herbes. Et il y a aussi des travaux que je payais à un collègue puisque je n’avais pas la mécanisation nécessaire. Donc si on calcule tout, je pense que je m’en sortais moins bien», témoigne l’ancien exploitant qui a aussi beaucoup regretté que le bio lui ait fait renoncer à 30 ans de non-labour.
Pas de semence sexée
Au niveau de son élevage, c’est l’interdiction d’utilisation des doses sexées qui l’a le plus dérangé, de même que l’impossibilité à pouvoir utiliser de la poudre de lait pendant les premiers mois de vie des veaux. «Avec des Jersey, quand il y a 50 veaux mâles sur une saison, c’est la catastrophe», relève Michel Guex.
Il a aussi eu des doutes avec le doublement du temps d’attente après l’emploi d’un antibiotique car il estimait que le temps d’attente standard suffisait déjà. «Si on compare un litre de lait bio avec un litre de lait conventionnel, le produit est le même, ce sont juste les conditions de production qui changent. Il n’y a donc pas une réelle plus-value pour le consommateur et cela me dérange.»
Il a relevé par contre un meilleur prix lors de la vente des animaux bios. Et cela se passait aussi très bien pour lui au niveau de la fumure puisqu’il avait suffisamment d’engrais de ferme.
Idéologie à adopter
L’éleveur a encore eu de la peine avec certains principes de l’agriculture biologique. «Dans l’ensemble, je me sentais plutôt bien avec ce mode de production mais parfois je ne pouvais pas comprendre le fondement des directives. Je m’étais passionné pour l’écologie mais, une fois qu’il a été question de la pratiquer, tout ne m’a plus paru si logique! Et j’ai même eu l’impression que certaines règles avaient pour objectif de décourager les membres et limiter leur nombre», témoigne Michel Guex.
Il ajoute que le bio, ce n’est pas juste un mode de production mais tout un concept et une philosophie à adopter et qu’il ne pouvait pas être d’accord avec tout. «J’ai créé de très bons contacts et j’ai aimé des aspects de la production, notamment le fait de devoir être plus précis dans le travail puisqu’on ne peut pas corriger derrière avec un produit. Donc je pense que si mon lait avait été payé correctement, j’aurais pu faire abstraction des éléments qui m’ont gêné mais là ça faisait trop d’aspects dérangeants.»
SD