Blaise Hofmann, écrivain
Aujourd’hui à 00:00, mis à jour à 09:17
Gros plan sur ses doigts propres et fins. Travelling le long de l’avant-bras, du coude, du cou. Plan fixe sur un visage impassible, un regard absent; on devine dans les yeux le reflet d’un écran.
En quelques clics, elle copie-colle des liens, compare des prix, calcule des frais de port: plus que trois exemplaires en stocks, etc.
Pour son père, elle hésite entre un casque de réalité virtuelle pour smartphone et une machine de boxe musicale à six cibles; pour sa mère, ce sera un tapis de course pliable liquidé à 50% du prix ou un petit arbre à chat.
Pour son frère, un drone télécommandé avec double caméra 4K ou une paire de talkies-walkies longue portée avec huit canaux. Pour la petite sœur, une machine à gaufre en forme de licorne, une figurine de cheval avec crinière à brosser…
Il y a trop.
Tornade, tourbillon.
Pour peu, elle demanderait à ChatGPT le cadeau idéal pour une fillette qui aime l’équitation. Et puis zut. Elle éteint l’écran, observe ses deux mains immobiles sur le bureau. Elle ferme les yeux, inspire profondément.
Une idée lui vient. De très loin. Soudain, elle se souvient. De la petite fille qu’elle était. L’excitation de l’Avent. La ferveur qui l’animait, la poussait à colorier, bricoler, découper, copier, coller.
Elle avait de l’or entre les mains.
Pour sa mère, elle prend rendez-vous avec une jeune couturière; elle crée sur papier kraft une pièce singulière, puis tente, avec l’aide de l’artisane, de la réaliser: un tailleur composé d’un ancien rideau et d’une ceinture de sécurité routière (sa mère le portera fièrement le soir de Noël).
Pour son père, elle rend visite à un voisin, un souffleur de verre qui propose régulièrement à des groupes de fabriquer leur propre verre à vin. Le sien ne sera ni régulier, ni symétrique, mais unique (son père y boira son vin de fête).
Pour son frère, elle frappe à la porte d’une forge. Elle est téléportée dans un autre siècle; tout est en noir et blanc, sauf le feu grâce auquel elle fait rougir une barre de métal. Elle la martèle, en fait une lame de couteau. Il suffira d’y ajouter un manche et d’y graver le prénom du frère (ce cadeau servira à découper la dinde).
Pour la petite sœur, elle emporte un portrait de son cheval préféré chez une mosaïste. Elle forme d’abord les tesselles de marbre à l’aide d’un marteau-lune et d’un billot surmonté d’une contre-lame, puis elle reproduit ledit cheval (le soir de Noël, il faudra fixer la mosaïque en dessus du lit de la petite sœur).
Ouf, elle regarde ses mains, sales, usées.
Son visage est radieux.
Alors elle s’offre un dernier cadeau. Elle revêt le tablier que la céramiste lui tend, trempe ses mains dans une bassine d’eau tiède, arrache un morceau de grès et forme cinq boules de même poids. Elle les fait tourner, monter, modèle cinq bols (on y servira le dessert: un triomphe).
Noël fait main, Noël haut la main.
C’est alors seulement, qu’à l’heure d’offrir ses cadeaux, le grand frère se sentira un peu crétin avec ses trois cosmétiques chinois commandés sur Amazon.